A l'occasion de la mort de Taiji Kase

De Gerhard Scheuriker, le 13 décembre 2004
Traduction de F. Claudic, Strasbourg, le 07 janvier 2005

Depuis août 2004, Senseï Kase souffrait de nombreux maux de dos. Le 6 novembre, les médecins ont diagnostiqué un abcès au rachis dorsal, une infection à la jambe – infection due à un streptocoque – et une insuffisance cardiaque. Après 41 jours de soins à l’hôpital, Senseï Kase est rentré à la maison: il n’avait, en effet, pas voulu consentir à un séjour en maison de repos médicalisée et c’est à la maison qu’il a poursuivi sa convalescence, accompagné en cela par les soins d’un kinésithérapeute.

Dans les premiers temps, puisque il ne pouvait se déplacer en marchant, Senseï Kase a pris du poids, mais peu de temps s’écoula avant qu’il ne puisse enfin se déplacer chez lui avec un déambulateur. Peu à peu la santé de Senseï Kase semblait véritablement s’améliorer.

Vendredi 19 novembre 2004, l’état de santé de Senseï Kase s’est subitement dégradé: lorsque son épouse est venue pour le réveiller vers 8h 00, il était déjà inconscient. Un médecin a alors été appelé; celui- ci a aussitôt fait admettre Senseï Kase en soins intensifs: il est probable qu’un arrêt de l’irrigation sanguine du cerveau avait déclenché le coma.

Les 22 et 23 novembre, par deux fois en l’espace de douze heures, des troubles cardiaques sévères se sont surajoutés à son état de santé déjà précaire. Une double inflammation – des poumons, contractée dès son second jour d’hospitalisation, et de la vessie – conséquence de son état de santé physique, a continué d’aggraver son état clinique.

Et c’est le mercredi 24 novembre à 17h 25 que Taiji Kase est décédé. Sa famille et quelques élèves l’ont accompagné jusque dans ses derniers instants.

Senseï Kase n’a été ramené chez lui, dans son appartement de Paris, que le 26 novembre et c’est là que sa famille lui a fait ses adieux. Les 28 & 29 novembre, ses élèves purent également lui rendre une dernière visite et lui faire leurs adieux. Revêtu de son karategi, il reposait dans son bureau, le corps recouvert jusqu’à la poitrine d’un drap blanc: une grande sérénité émanait de son visage.

Les personnes venues lui rendre une dernière visite ont pu allumer des bâtonnets d’encens, faire résonner une cloche et se recueillir en se souvenant des bons moments passés en compagnie de Shihan Taiji Kase.

Les deux frères de Senseï Kase arrivés du Japon furent étonnés par le grand nombre de personnes venues rendre un dernier hommage à leur frère. Ils semblaient ne pas être conscients du statut que Senseï Kase occupait dans le monde du Karaté et du nombre important de gens qu’il avait inspiré dans la voie du Karaté. A maintes reprises, les personnes présentes ont rapporté leurs impressions à propos de Taïji Kase et ont fait le récit d’anecdotes le concernant.

C’est mardi 30 novembre à 12h 30 que les funérailles et la crémation de Senseï Kase ont eu lieu au funérarium du cimetière du Père Lachaise à Paris. Environ 350 personnes avaient fait le déplacement du Japon, de France, d’Italie, d’Allemagne, du Koweït, d’Israël, de Suisse, etc…. L’un des derniers portraits de Senseï Kase avait été posé au milieu de l’assemblée: dans une expression tout à la fois paternelle et amicale, il semblait offrir son sourire aux personnes présentes. C’est alors que nous avons entendu des chants japonais, qui – à ce qui m’a semblé – racontaient l’amitié, l’amour et la perte d’un être cher. Il s’agissait, en réalité, d’un ensemble de chansons choisies par la famille Kase pour la circonstance: Senseï Kase appréciait en effet tout particulièrement ces artistes japonais interprètes de ces textes.

M. Bruno Garnero a ensuite célébré un office traditionnel selon le rite tibétain. Au cours de cette cérémonie, la famille a donné lecture des messages de condoléances parvenus de nombreux pays. Les larmes coulaient encore et toujours sur les joues. Les frères de Senseï Kase nous ont ensuite tous remercié d’être venus mais ont également exprimé leur gratitude pour les souvenirs que nous leur laissions de leur frère. Le plus jeune frère de Senseï Kase nous fit alors part de la difficulté qu’il aurait à retraduire avec des mots, à leur mère âgée actuellement de 101 ans, les émotions et les beaux souvenirs qu’il avait ressentis au cours de cette cérémonie.

Senseï Shiraï fut la seule personne à prendre la parole devant le cercueil de Senseï Kase. Il s’excusa pour les erreurs qu’il avait commises, exprima toute sa gratitude pour ce qu’il avait reçu de Senseï Kase et dit son souhait de poursuivre l’œuvre entreprise par Senseï Kase.

Alors que le cerceuil était porté vers le crématorium, une voix empreinte d’émotion a crié: « Senseï Oss ». Toutes les personnes présentes à la cérémonie ont repris alors cette exclamation: « Oss, Senseï » Il est véritablement très difficile de retraduire avec des mots cet instant. Toute la profonde peine, la douleur et la gratitude se confondirent dans ce moment d’émotion d’une rare intensité. Ce fut un instant dont, selon toute vraisemblance, les personnes présentes se souviendront encore longtemps.

C’est seulement à la fin de la cérémonie que les personnes qui y avaient pris part exprimèrent toutes leurs condoléances à la famille Kase. Et en cet instant, on put encore mesurer combien la perte de son mari plongeait Madame Kase dans la douleur. C’est à ce moment que l’on put signer le recueil de condoléances. Il est vraisemblable qu’y figurent, gravés pour l’éternité, maints petits souvenirs ainsi que de nombreux messages de gratitude. Souhaitons que tous porteront dans leur cœur le souvenir de Senseï Kase et qu’ils transmettront tout ce qu’il nous a enseigné: son humanité, la patience, le respect, son Karaté. C’est exactement le défi que, nous qui le connaissions, nous nous devrions de relever.

Dimanche 05 décembre 2004 à 12h 30, de nombreux élèves et les membres de la famille se retrouvèrent à l’hôtel Mercure: une centaine de personnes avait répondu à l’invitation personnelle de la famille. En entrant dans la salle, chacun reçut une rose blanche puis prit place à des tables rondes disposées dans la salle. Un petit orchestre se trouvait dans le coin gauche de cette pièce; au milieu de celle- ci était dressé un écran alors que dans le coin droit de la salle avait été posés un grand portrait de Senseï Kase ainsi que l’urne funéraire qui renfermait ses cendres. L’orchestre a alors interprété la chanson que M. Bruno Garnero avait composé en l’honneur de Senseï Kase. Nous avons également assisté à une démonstration de Kyudō: à cette occasion nous avons pu mesurer combien de travail avait été nécessaire pour réaliser cette prestation parfaite. Et c’est un exemple de ce que nous devrions toujours avoir présent à l’esprit lorsque nous nous entraînons.

Un peu plus tard, nous avons vu un diaporama avec des photographies qui retraçaient, de sa naissance à sa mort, la vie de Senseï Kase; nous avons ensuite visionné un film vidéo enregistré lors du dernier stage que Senseï Kase avait dirigé en juillet 2004 à Andorre: il y expliquait et démontrait le ‘Tsuki’. Visiblement cette projection évoqua pour les personnes présentes de nombreux souvenirs personnels. C’est grâce à de telles images, qui permettent de montrer aux élèves ce qu’est la sensation physique en Karaté, que l’œuvre de Taiji Kase pourra être transmise.

Puis, l’un après l’autre en déposant la rose blanche près de l’urne, tous firent encore une fois leurs adieux à Senseï Kase. Quelques personnes parmi les invités firent le récit d’anecdotes personnelles qu’ils avaient vécu avec Senseï Kase. A travers toutes ces anecdotes perçait encore et toujours, par delà sa très grande expertise dans l’art du Karaté, le caractère profondément humain de Senseï Kase. Des personnes comme Hiroshi Shiraï, Pascal Lecourt, Gérald Dumont, Livia Castro, Marc Stevens, Sivathana Samedy, Jean Pierre Lavorato, Milo Bajraktari, Velibor Dimitrijevic et Sandy Hopkins ont, par leurs paroles, réconforté l’assemblée endeuillée. Et c’est la tête pleine de nombreux projets qu’à la fin de la cérémonie, les invités ont pris le chemin du retour à la maison.

C’est en mémoire de Senseï Taiji Kase que je vais continuer à m’entraîner dans la voie du Karaté et à transmettre ses conceptions. Il nous a donné tout ce qu’il avait à donner pour que nous puissions poursuivre son œuvre. Sa mort est une grande perte pour l’ensemble du monde du Karaté.

Gerhard Scheuriker

Karlsruhe, le 13 décembre 2004